Suite à mon article sur le Meredith à deux vitesses, Serge Contard m’a fait parvenir un autre moulinet Chinois à double ratio qu’il a acheté il y a quelques années et dont il ne s’est que peu servi. A l’examen, ce moulinet s’est révélé passionnant : une monstruosité asiatique comme je les aime ! Il aurait pu être plus abouti et construit avec de meilleurs matériaux mais il faut reconnaître qu’il est le fruit d’un réel travail d’ingénieur, bien que ce dernier ne devait pas souvent aller à la pêche… Disons que c’est un moulinet conceptuel 🙂 !
Le Teben 2 speed 800 est un bon gros pépère de 620g, à l’allure assez étrange mais non dénuée d’élégance. On remarque tout de suite la gâchette située sous la semelle qui laisse à penser qu’il possède un frein de combat comme sur les Full Control de Mitchell. En fait il n’en est rien, c’est justement cette gâchette qui permet de changer de vitesse comme nous allons le voir. Sa fluidité est correcte mais compte-tenu du nombre élevé d’engrenages, un certain ronron se fait entendre. On voit aussi qu’il a souffert d’une oxydation importante…
Serge s’en est servi quelques fois puis il l’a abandonné dans un coin, sans doute guère emballé par ses performances. Le moulin a pris le sel et la peinture et les chromes ont fini par cloquer. Si jamais vous achetez ce moulinet, prenez soin de bien le rincer après chaque sortie en mer !
La bobine est classique, d’un diamètre de 60mm. Le cliquet bruiteur est très oxydé et ne fonctionne pas car il ne touche pas la roue dentée de l’axe, soit qu’il soit trop court, soit que le métal ait été bouffé par la rouille.
La pile de frein est composée d’un matériau inconnu, visiblement découpé à l’emporte-pièce dans une nappe de plastique composite quelconque, sûrement pas du carbone, on dirait plutôt du joint de robinetterie… Un roulement à la base.Le bouton de frein est également piqué par l’oxydation:
L’axe, avec ses 5mm d’acier inox est très solide:
Le rotor est solide également, mais deux affreuses masselottes ont été vissées à l’intérieur pour l’équilibrer.
Le pick-up est dans un sale état… Les bras, visiblement en zamak chromé, ont bien morflé !
Le galet ne tournait plus car les deux roulements étaient complètement rouillés. J’ai réussi à les dégripper et ça va un peu mieux mais pour bien faire il aurait fallu de vrais roulements inox et deux joints d’étanchéité à chaque extrémité. Seul l’arceau de pick-up a bien résisté au sel.
Lorsque j’ai ouvert le carter, j’ai constaté que les engrenages étaient englués dans une épaisse graisse bleue très collante… Je me plains souvent du manque de graisse mais là c’est trop ! J’ai passé presque 2 heures pour le nettoyer complètement…
AVANT…
APRÈS :
Une fois propre, je me suis dit « Bigre ! Mais qu’est-ce donc que cela ?! ». En fait non, je me suis plutôt dit « Punaise ! Qu’est-ce que c’est que ce truc foutraque ?!! ». Je n’avais en effet jamais vu une disposition pareille, avec un pignon de transmission situé au cul du moulin et un système de boîte de vitesse digne d’une Deudeuche !!
Le démontage est complexe car il y a de nombreuses pièces et certaines pas vraiment utiles, comme ce petit caps au cul du moulinet qui n’est qu’un simple bouchon et pas une molette de réglage !
Comment ça marche ? Je vais tenter de vous l’expliquer. En fait, il y a deux axes :
-L’axe principal (en haut), est entrainé par la roue de commande et porte aussi le dispositif de changement de vitesse et le pignon d’entrainement.
-L’axe secondaire (en bas), entraine le rotor et possède aussi deux pignons plus forts de taille différente.
L’axe principal est le plus complexe. C’est un axe coulissant. Il peut avoir un mouvement de translation avant-arrière grâce au curseur actionné par la gâchette. Deux trous (flèches bleues) permettent en effet d’accueillir les tiges en inox de la gâchette: Cela permet de faire avancer ou reculer les pignons qui eux sont fixes (ils tournent, contrairement au curseur qui est monté sur un roulement scellé (flèche verte). L’axe coulisse à l’intérieur du pignon mais celui-ci est maintenu solidaire grâce à la forme hexagonale (flèche rouge) de l’axe à l’arrière, le dispositif peut à la fois tourner et coulisser. Je ne sais pas si je suis clair…
Le pignon a donc une forme hexagonale à l’intérieur et il est un peu plus long que de coutume car il doit accueillir la roue de commande qui se trouve un poil trop en avant. Le filetage à l’extrémité sert à le maintenir fixe sur le bâti à l’aide d’un écrou. Tout ça est bien compliqué…
Lorsque la gâchette est en position de repos, les deux pignons qui se font face produisent un ratio élevé de 4,9/1 :
Lorsque la gâchette est actionnée, les deux autres pignons produisent un ratio faible de 2,6/1 :
J’ai vérifié, les chiffres annoncés sont exacts, la différence de ratio est réelle. Dans ce magnifique petit court métrage ci-dessous (Ours d’Or à Berlin du meilleur Jeune Espoir Halieutique, catégorie chemise à fleur…) on comprend à peu près comment ça marche :
Mais, chemise à fleur ou pas, ce n’est pas franchement agréable en condition réelle d’utilisation ! L’idée est la suivante : on anime un leurre par exemple avec le ratio élevé et, lorsqu’on a un poisson au bout de la ligne, on appuie sur la gâchette pour le travailler avec le ratio faible qui permet d’exercer une plus grande force (effet treuil). Mais ça fait rapidement mal aux doigts car il faut maintenir en permanence la gâchette appuyée! Bref, si le curseur avait été actionné par une classique molette située sur le carter, c’était mieux.
D’autre part les deux minuscules ressorts qui assurent le fonctionnement de la gâchette sont sous-dimensionnés. Et pour bien faire il aurait fallu des ressorts de rappel à compression pour que la gâchette revienne correctement en position, comme sur les anciens Full Control. Ces ressorts seront rapidement hs au bout d’une saison.
Quant à la gâchette elle-même, son pivot est situé trop haut sur le pied et elle est trop courte, ce qui fait qu’elle est dure à actionner. Les deux tiges inox qui actionnent le curseur sont une plaisanterie, c’est complètement à revoir… D’autre part l’eau peut s’engouffrer sans problème à l’intérieur du pied, c’est d’ailleurs à cet endroit que j’ai trouvé le plus de traces d’oxydation.
Sinon l’axe secondaire est plus simple, il porte deux pignons fixes bien usinés ainsi que l’anti-retour et deux roulements ouverts.
L’anti-retour ne fonctionnait plus car son ressort avait lui-aussi été bouffé par la rouille, je l’ai donc remplacé par un élastique à cheveux et ça fonctionne à nouveau parfaitement.
La roue de commande est en alliage de zinc chromé, comme la roue d’oscillation et la came. Tout chromé ! Malgré cela on voit un début d’usure conséquent sur la couronne… Le Zamak est assez sensible à la corrosion, si il est en plus recouvert de chrome, ça cloque, c’est inévitable.
La came en S est maintenu par un axe supplémentaire, il faut bien ça pour supporter les tensions car les pignons de l’axe principal doivent entrainer pas mal d’efforts sur l’axe secondaire et c’est la came au final qui doit subir les effets de cisaillement.
L’enroulement obtenu est passable, on distingue nettement les cycles d’oscillation, mais rien de rédhibitoire à l’utilisation des tresses.
La manivelle est correcte, la boule en alu usiné tourne parfaitement malgré là-aussi un roulement oxydé (mais pas encore claqué).
Conclusion : Le Teben 2 Speed est inutilement alambiqué ; il va de soi que le système de gâchette est anti-ergonomique et qu’un simple levier on/off aurait été bien meilleur. La qualité des matériaux laisse une fois de plus à désirer, tous les roulements sont plus ou moins atteints par l’oxydation, ainsi que le carter et le pick-up. Néanmoins le système de changement de vitesse fonctionne plutôt bien, même si mécaniquement parlant ce n’est pas la meilleure solution : Trop de pièces. Déporter l’axe principal est une erreur car l’énergie de la roue de commande se dissipe dans les engrenages successifs. Reste que c’est quand même une belle performance d’ingénieur, en tout cas sur le papier ! La marque Teben est capable de faire de très bonnes choses, comme le Teben Sea 20000, une imitation de Stella plutôt réussie et d’ailleurs bien notée par Alan Hawk en son temps : Photo Web
Elle est donc aussi capable d’innovation et de créativité avec ce 2 vitesses, il faudrait juste un peu plus de recul et de sérieux dans le développement des produits afin de ne pas lâcher dans la nature de simples prototypes… J’espère en tout cas que cette curiosité vous a plu, personnellement j’adore ce genre de moulin tarabiscoté, ça change de l’ordinaire ! On peut encore le trouver sur certains sites étrangers mais, à part comme pièce de collection, son utilité à la pêche reste très incertaine… Encore un joli presse-papier!
Texte et photos : Jean-Paul Charles
Merci à Serge Contard pour cette découverte !
Merci Polo pour la découverte de cette usine à gaz. Heureusement qu’il y avait des photos en macros autrement tu m’aurais perdu dans ces ……… roulements. En attendant le gars qui a sorti ce moulinet a du pas mal se creuser la tête, même si l’informatique a dû l’aider
Merci et Vivement le prochain
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Le prochain n’est pas piqué des vers non plus mais beaucoup plus simple 🙂 ! Ces Chinois m’étonneront toujours…
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Bel essai. Il semble que ce moulinet soit encore en vente. Un commerçant qui a acheté un stock chez Teben… Ou Teben qui solde…
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En effet, je l’ai trouvé ici : http://www.profish3.com/2-speed-reel.htm
Dommage que Teben n’innove plus, ils avaient un bureau d’étude rigolo!
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Trop de boîtes de vitesses depuis peu dans ce blog…. 😜
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Bah, j’ai beau embrayer, ça n’avance pas 😉 !
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Ça ressemble à un exercice de futurs,ingénieurs! Même si les matériaux et le design sont approximatif, je trouve quand même audacieux d’innover un peu, même si le double ratio n’est pas indispensable.
Une petite louche pour Daiwano qui ont leur système mécanique identique depuis au moins la fin des années 90… ça serait cool qu’ils se réveillent à un moment donné. (Avant que je sorte le mien!)
Merci Polo pour cette découverte de l’espace!!
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J’achèterai volontiers un « Tavaneuse » dès qu’ils seront en rayon 😉 !
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Salut Polo,
Effectivement, curieuse bête.
Purement marketing, dire le nombres d’heures passées sur ce projet, in fine, ça doit représenter vraiment du taf.
Personnellement, même si je comprends l’idée, est-ce utile ?
Laurent
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Sur un spinning non, c’est pas vraiment utile. Mais ça donne des moulinets intéressants à démonter!
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Wouahooouuuu ! Les engrenages me font penser à la boîte de transfert de mon BigAl. Les 620 gr de la bête ne m’étonnent plus ! Toutefois comme tu le dis, il fallait y penser, si la réalisation manque de finesse, je pense que c’est du costaud…
Est-il besoin de rappeler un minimum de soin ; rinçages OBLIGATOIRES avec une utilisation en milieu salin et un entretien régulier dont change des pièces d’usures et bons lubrifiants.
Beaucoup trop d’utilisateurs négligent ces impératifs !… Eh oui, tout ce qui brille n’est pas forcément inoxydable !
Pour en revenir au Teben, il aurait fallut un verrou sur le levier, genre sécateur ou revoir tout le système, pour éviter de rester en pression constante… En conditions de pêche cela doit être très inconfortable
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Je crois que l’ingénieur qui nous pondu ce moulin s’est en effet inspiré des boîtes de vitesse auto… Pour le levier je confirme: c’est très inconfortable 😦 !
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Salut,
Y pas de synchro pour le changement de vitesse … Pensez à faire un double débrayage pour ne pas que ça craque !!! 🙂
Axel
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J’y ai pensé figure-toi, mais malgré tout ça ne fait pas de bruit à l’embrayage ni au débrayage!
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